Challenge.fr - Vincent Lamigeon - 20/07/2012
DECRYPTAGE Luc Vigneron met ce week end la dernière main à une réorganisation qui implique le départ de plusieurs hauts dirigeants de Thales.
Si ce n’est pas encore un psychodrame, ça commence à y ressembler. Trois ans après l’arrivée de Luc Vigneron à la tête de Thales dans les cartons du nouvel actionnaire Dassault Aviation, qui avait vu les trois quarts du comité exécutif remerciés, l’orage gronde à nouveau dans les hautes sphères du groupe d’électronique. Thales devrait officialiser, probablement le 25 juillet, un nouveau grand ménage dans le management du groupe.
Dévoilé par Latribune.fr, le plan prévoirait notamment le départ des deux supers commerciaux du groupe : le britannique Alex Dorrian, qui chapeautait la zone A (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Pays-Bas, Corée du Sud…) , et le français Blaise Jaeger, patron de la zone B (Allemagne, Italie, Espagne, Moyen-Orient, Amérique latine, Afrique…).Si le départ d’Alex Dorrian, proche de la retraite, était prévisible, le deuxième mouvement suscite des interrogations : Blaise Jaeger était réputé proche de Luc Vigneron, qui l’avait bombardé début 2010 à ce poste nouvellement créé.
Les deux derniers piliers de l'ère Ranque sous surveillance
En plus des deux patrons du commercial, le départ du DRH Loïc Mahé, autre recrue de l’ère Vigneron, est aussi quasiment acté : Luc Vigneron l’avait nommé pour succéder à Yves Barou, une figure du groupe, en 2010. Le ménage se poursuit aussi dans les directions régionales, avec le départ du patron de la zone Moyen-Orient Olivier Badard, énième mouvement dans la zone depuis trois ans. Des sources internes évoquent même des velléités de départ de Pascale Sourisse, patronne de la division C4I défense et sécurité, qui n’attendrait qu’une offre intéressante pour faire ses valises.
Pascale Sourisse figure pourtant parmi les favoris pour succéder à Alex Dorrian, tandis que le poste de Blaise Jaeger serait confié à Raynald Seznec, patron de la division spatiale Thales Alenia Space, codétenue par Thales et l’italien Finmeccanica. Pourquoi promouvoir ces deux piliers de la maison Thales, quasiment les derniers survivants de l’ère Denis Ranque ? "On leur enlèverait ainsi le contrôle de grosses divisions opérationnelles, et Vigneron les aurait sous contrôle sur un terrain qu’ils maîtrisent moins", analyse une source interne. Raynald Seznec serait aussi privé de la "protection" du double actionnariat de Thales Alenia Space, où l’accord de Finmeccanica est indispensable pour tout changement de management.
La CFDT déplore une "Alcatelisation du groupe"
Au siège de Neuilly, l’heure est donc aux grandes manœuvres. Les syndicats, déjà échaudés par le projet de cession de la filiale Thales Services Business Solutions, la possible vente des activités de radiologie du groupe, et les projets de transferts d’activités radars vers Singapour, tirent désormais à boulets rouges sur la direction, bien loin de la tradition de dialogue social du groupe. La CFE-CGC dénonce un "climat de stress, de terreur" et une "gouvernance dictatoriale et solitaire". La CFDT met en avant "une Alcatelisation du groupe" et un "système qui étouffe toute contestation au sein du comité de direction".
Les organisations syndicales en appellent désormais à l’Etat, premier actionnaire du groupe, pour remettre de l’ordre dans la maison Thales. "Il n’y a pas de stratégie industrielle, la direction se contente de réorganisations successives qui mettent sur la touche les cadres qui ne sont pas à 100% en phase avec la politique du PDG, assure Gilbert Brokmann, responsable CFE-CGC chez Thales. L’Etat doit rétablir une gouvernance correcte, avec ou sans Luc Vigneron."
Le Drian et Montebourg appelés à la rescousse
Les ministères de la Défense et du Redressement productif ont notamment été sollicités. Il faut dire que l’affaire va bien au-delà du seul cas Thales, le groupe ayant été mis en position de fédérateur de l’industrie de défense française par le précédent exécutif : Thales est monté à 35% du groupe naval de défense DCNS, et négocie actuellement une entrée au capital de Nexter, l’ex-Giat.
La clé de l’affaire est désormais dans les mains de l’Etat, et dans celles de l’actionnaire industriel de Thales, Dassault Aviation. Le PDG de l’avionneur, Charles Edelstenne, a pour l’instant toujours soutenu mordicus la politique de Luc Vigneron, même dans la période la plus sanglante où les notes blanches assassines allumant tel ou tel se multipliaient comme des petits pains au siège de Neuilly. Pourrait-il retourner sa veste, à six mois de son départ, prévu sauf coup de théâtre en janvier 2013 ? Ce genre de revirement n’est pas vraiment dans les habitudes de la maison. La présentation des résultats de l’avionneur le 26 juillet prochain, le lendemain de ceux de Thales, permettra sans doute d’en savoir plus.
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